ART BRUT & CO
« Nationale
Sept
Il faut la prendre qu'on aille à Rome à Sète
Que l'on soit deux trois quatre cinq six ou sept
C'est une route qui fait recette
Route des vacances... »
Charles Trenet
La
douceur des vacances, le plaisir de découvrir des paysages
différents, les petits cafés en bordure des routes
sinueuses, sans oublier la rencontre avec le villageois
bourru mais sympathique, tout cela est entré dans le musée
personnel de chacun et on le fait revivre avec les photos
de Doisneau, Ronis, Izis etc…Maintenant nous
voyageons sur des autoroutes qui méprisent les paysages et
des gps qui font en sortent d’éviter toutes rencontre
avant d’atteindre le point d’arrivée. Il
n’est même plus besoin de demander son chemin,
l’autochtone étant devenu un risque potentiel. Dans
ce monde standardisé, la différence devient presque une
agression. Il faut faire un effort pour passer du stade de
touriste neurasthénique a celui de citoyen curieux…
Bernard
Plossu disait lors d’une rencontre avec des élèves
qu’il commençait à photographier lorsque les routes
s’arrêtaient !
Pour la découverte de l’Art Brut c’est pareil,
il faut voyager au ralenti pour rencontrer ces artistes.
Dans le meilleur des cas il y a un panneau à
l ‘entrée du village mais cela demeure
l’exception ! c’est plutôt
l’inverse, on cache la différence et si les petits
nains sont tolérés c’est la limite cela étant
certainement dû au fait qu’ils soient manufacturés.
Et puis le temps joue contre ces artistes bien souvent
leurs disparitions permet par la destruction de leurs
œuvres un salutaire retour à la normale . Un bon
pavillon blanc avec des chemins rectilignes en gravillon
calibrés et des arbustes dans la tradition des jardins à la
française, bien dégagés derrière les oreilles ! Déjà
que les villages agonisent et se dessèchent sous les coups
de boutoir de la mondialisation et de la folie
pavillonnaire il serait temps de protéger ce patrimoine
fragile et magique. Osons la différence, enrichissons nous
de ces regards singuliers, laissons nous surprendre et
émouvoir. Dans cet environnement de plus en plus formaté
laissons une chance à l’imaginaire…
Cette rubrique va donc se composer de regards sur
l’art brut du bord des routes mais pas uniquement,
certains artistes conçoivent des œuvres ou des lieux
qui s’intègrent parfaitement dans cette quête
d’univers différents, décalés, qui font un bien fou
aux neurones anesthésiés par l’action conjuguée du
canapé et de l’écran tv.
maison Picassiette
L’art
brut désigne “des ouvrages exécutés par des personnes
indemnes de culture artistique, dans lesquels le mimétisme,
contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait
peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent
tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre,
moyens de transposition, rythme, façons d’écritures,
etc.) de leur propre fonds et non des poncifs de
l’art classique ou de l’art à la mode“
Jean
Dubuffet
Sculptures Rothéneuf
Qu’est-ce
que l’art brut ? C’est à Jean Dubuffet
qu’il convient de poser la question, puisqu’on
peut le considérer comme l’inventeur de l’art
brut – dans les deux sens du terme : celui qui
en a créé la notion, et qui a découvert la plus grande
partie des travaux ainsi désignés. Par art brut, Dubuffet
entend « des productions de toute espèce –
dessins, peintures, broderies, figures modelées ou
sculptées, etc. – présentant un caractère spontané et
fortement inventif, aussi peu que possible débitrice de
l’art coutumier ou des poncifs culturels, et ayant
pour auteurs des personnes déjà retenir trois traits
essentiels : les auteurs d’art brut sont,
mentalement et/ou socialement, des marginaux. Leurs travaux
ont été conçus et exécutés à l’extérieur de ce
qu’on entend ordinairement par « domaine des
beaux-arts », c’est-à-dire du réseau des écoles,
galeries, musées etc. ; ils ont été conçus également
sans égard aux destinataires habituels de la production
artistique – sans égard, le plus souvent, à aucun
destinataire du tout. Les sujets, les techniques, les
systèmes de figuration présentent peu de rapports avec ceux
qui sont transmis par la tradition ou qui sont suggérés par
les tendances à la mode ; ils procèdent plutôt
d’une invention personnelle. Bref par tous ses
traits, l’art brut s’oppose à ce qu’on
peut appeler d’un terme général, l’« art
culturel », y compris à ses formes les plus
avant-gardistes.
Les
auteurs d’Art Brut sont des marginaux réfractaires au
dressage éducatif et au conditionnement culturel,
retranchés dans une position d’esprit rebelle à toute
norme et à toute valeur collective. Ils ne veulent rien
recevoir de la culture et ils ne veulent rien lui donner.
Ils n’aspirent pas à communiquer, en tout cas pas
selon les procédures marchandes et publicitaires propres au
système de diffusion de l’art. Ce sont à tous égards
des refuseurs et des autistes. L’Art Brut présente
des traits formels correspondants : les œuvres sont,
dans leur conception et leur technique, largement indemnes
d’influences venues de la tradition ou du contexte
artistique. Elles mettent en application des matériaux, un
savoir faire et des principes de figuration inédits,
inventés par leurs auteurs et étrangers au langage
figuratif institué. Dans la plupart des cas, ces
caractéristiques sociales et stylistiques se conjuguent et
s’amplifient par résonance : la déviance favorise la
singularité d’expression et celle-ci accentue en
retour l’isolement de l’auteur et son autisme,
si bien que, au fur et à mesure qu’il s’engage
dans son entreprise imaginaire, le créateur se soustrait au
champ d’attraction culturelle et aux normes
mentales. L’œuvre
est donc envisagée par son auteur comme un support
hallucinatoire ; et c’est bien de folie qu’il
faut parler, pour autant qu’on exempte le terme de
ses connotations pathologiques. Le processus créatif se
déclenche aussi imprévisiblement qu’un épisode
psychotique, en s’articulant selon sa logique propre,
comme une langue inventée. D’ailleurs, quand les
auteurs d’Art Brut s’expriment aussi par
l’écriture, c’est en accommodant la grammaire
et l’orthographe à leur tour d’esprit.
C’est une création impulsive, souvent circonscrite
dans le temps, ou sporadique, qui n’obéit à aucune
demande, qui résiste à toute sollicitation communicative,
qui trouve peut-être même son ressort à contrarier
l’attente d’autrui.
Michel Thévoz, tiré de "Art brut, psychose et médiumnité",
Editions de la Différence, Paris, 1990,
pp.34-35.
Bodan Litnanski
De
la différence
Mais cette ouverture d’esprit est un risque pour les
« autres ». Au pays des pavillons pantouflards,
on aime les nains de Blanche Neige, les graviers roses bien
calibrés, l’image d’un monde propre et
stérile : les choses doivent rester dans leur cadre et
rien ne doit déranger les habitudes de vie
« tranquille ».
Pour les gens du voisinage, l’inconnu n’est que
source d’ennui et de danger, ils préfèrent
l’aborder derrière un écran de télévision ou dans des
parcs d’attractions. Ils ont formé les yeux de peur
de trop voir la médiocre réalité, niant ainsi cette
ouverture essentielle pour les inventeurs d’art.
En installant leurs œuvres entre eux-mêmes et les
autres, ces artistes nous invitent à dialoguer dans leur
propre langage, un langage visuel et vivant. Car la
communication est devenue primordiale dans un monde où les
échanges sont trop souvent commerciaux et où la profondeur
de la vie, hérissée de ses problèmes multiples, n’est
jamais prise en compte.
Olivier Thiebaut
Sculptures Ousmane Sow